Merci beaucoup !
Posté le jeudi 17 janvier 2013 à 17 h 14 min dans la catégorie « Croquis, Humeur » par Bruno Bellamy.
Ce matin j’ai fait cette bellaminette exprès pour remercier quelqu’un qui m’a très gentiment envoyé un petit peu de sous via Paypal. Et puis bon, je me suis dit que vous pouviez bien en profiter aussi… 🙂

Et puis après l’avoir envoyée, je l’ai regardée, et je me suis dit : « mince, elle a vraiment l’air d’être contente ! ».
Vous savez pourquoi ? Moi, je crois que je sais.
C’est parce que celui qui m’a fait ce don m’a considéré comme une personne. Et que ça m’a fait super plaisir. Et que quelque chose de ça est passé dans le dessin.
Pourquoi je vous dis ça ? Parce qu’aujourd’hui je suis super énervé. Vraiment pas content. 🙁
Parce que ça m’a fait prendre violemment conscience de la différence entre ce que je ressens quand je dessine cette bellaminette toute souriante pour quelqu’un qui me reconnaît mon statut d’être humain, et ce que je ressens en travaillant avec cette autre catégorie que j’appellerai « les mauvais éditeurs », ou M.E., ou « meuh ».
J’ai encore dû consacrer du temps récemment à m’expliquer avec des meuh avec qui je suis supposé travailler en bonne intelligence et pour qui, je m’en rends compte à mes dépends, je ne suis rien. Des gens qui me commandent des dessins, qui n’acceptent de les payer qu’une misère (oui, un auteur c’est pas salarié, donc y’a pas de minimum, et croyez-moi, « pas de minimum » ça peut aller très loin dans le misérable), qui les utilisent, qui en tirent du bénéfice, et qui « oublient » de me payer. Qui « oublient » de me contacter pendant des mois. Qui oublient que j’existe. Leurs chiffres de vente existent, ça oui. Mais les gens qui créent le contenu sans lequel ils n’ont rien à vendre, ça, ils l’oublient. C’est facile : ce ne sont que des abstractions, à la rigueur des adresses e-mails. Pas des personnes, pas des gens qui travaillent. Non, juste des souvenirs, jusqu’à ce qu’on les oublie, et qu’ils deviennent rien.
Ça date pas d’hier, hein. Je ne m’énerve pas juste d’un coup. Y’a un effet cumulatif… C’était déjà comme ça avant avec les mêmes meuh, plusieurs fois. Et avec d’autres meuh avant eux, et encore avant, et encore avant. Depuis mes débuts, j’ai connu ça. J’imaginais qu’en gagnant en expérience dans le métier, en acquérant un petit peu de notoriété (je dis pas ça pour rouler des mécaniques, hein, c’est juste le nom qu’on donne, pour un artiste, à ce qu’on appelle dans d’autres secteurs « expérience professionnelle »), j’aurais un petit peu plus le droit d’être admis, modestement, discrètement, dans la catégorie « humain ». Bah non.
Notez bien que je n’ai pas dit « les éditeurs », comme d’autres adeptes de la généralisation abusive disent « les chinois », ou « les martiens ». J’ai dit « les mauvais éditeurs ». Parce que je sais qu’il y en a des bons. C’est juste qu’éditeur c’est un métier. Comme auteur de BD. Ça s’apprend. Et quand on a suffisamment appris ce métier (en vrai, on apprend toujours, mais faut un minimum), pour le faire bien, il faut le faire à temps plein. C’est bien pour ça que je pense que les bons éditeurs (pas les meuh) c’est utile et nécessaire. Des fois, on me dit « si les éditeurs te font chier, édite-toi toi-même ». Sauf que non, je ne sais pas faire toutes les choses que fait un éditeur, et j’ai pas le temps pour les faire bien. Mais au moins, quand je bosse avec un éditeur (même un meuh), je le considère comme une personne, pas comme une abstraction. Si je suis en retard, si y’a un souci technique, je le contacte, je le tiens au courant, j’établis un dialogue, je traite les choses d’humain à humain. Oui, même avec un meuh.
Mais voilà, je sais pas pourquoi, j’ai de plus en plus affaire à des meuh qui, par exemple, ne répondent pas (du tout) quand je leur envoie un projet. Un projet de BD, c’est des semaines de boulot, quand c’est pas des mois. Écrire un scénario (que ça soit moi ou un pote scénariste) c’est long, c’est difficile, c’est compliqué, c’est technique. Là-dessus faut faire plein de dessins, et puis réaliser des pages. C’est long, c’est difficile c’est compliqué, c’est technique. C’est professionnel, quoi. Et ça c’est du travail professionnel qui est réalisé sans aucun revenu, aucune rentrée d’argent, faut se démerder. Et ils font quoi, les meuh qui reçoivent le résultat de ces montagnes de boulot ? Rien. Il y a quelques bons éditeurs (pas des meuh, donc) qui prennent la peine de répondre, de commenter, d’argumenter. Je me doute bien qu’ils ont plein de projets à examiner, donc c’est pas évident de prendre du temps pour répondre comme il faut à tout le monde, mais voilà, c’est aussi pour ça qu’éditeur c’est un métier. Et certains le font, ce métier, comme de vrais professionnels. Merci les éditeurs professionnels.
Et puis il y a les meuh. Je leur envoie des mois de travail, et ils ne prennent même pas quelques minutes pour me répondre comme on répond à un être humain.
Et parmi ceux avec lesquels je travaille il y en a qui ne font comme si j’existais que jusqu’à ce qu’ils aient le dessin convenu. Après ça, il n’est plus besoin ni de m’informer, ni de me payer, ni de me répondre. Je ne suis donc pas, pour eux, une personne. Juste une fonction. Un distributeur automatique d’images. Une imprimante, en quelque sorte…
Eh bien je le dis haut et fort, et vous prie, par avance, de bien vouloir pardonner le ton outrancier de mon propos :
TOUT ÇA C’EST DE LA MERDE !
Les artistes sont des gens comme tout le monde : quand leur travail répond à une demande, il doit être rémunéré à un tarif décent, dans des délais décents, et ils doivent être considérés comme ce qu’ils sont : des PERSONNES. Et quand on les fait chier, les artistes, quand on les traite comme de la merde, voire comme RIEN, ils ne peuvent pas faire du bon boulot. Parce que la production d’un artiste est, par définition, quelque chose de personnel, d’intime. Si l’artiste est mal, ça va se voir sur le dessin, il ne peut pas être bien.
Je suis désolé de la longueur pesante de cette diatribe mais voilà, en substance, ce que je voulais dire et que, je crois, le dessin ci-dessus illustre. J’aurais pu dessiner l’agression violente d’un meuh et comment il en prend plein la gueule. Mais j’ai préféré montrer à quel point ça fait plaisir quand on est considéré comme une personne par des gens qui apprécient ce qu’on fait.
Merci (beaucoup) de votre attention.


























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