Making of : historique

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Ou du moins, on allait essayer...
C'est que Vatine ne pouvait pas décider ça tout seul. Fred Blanchard, son acolyte à la tête de la collection Série B, avait lui aussi approuvé le scénario, et Grégoire Seguin, directeur de collection chez Delcourt, qui était aussi fin connaisseur en bellaminettes, était également partant. Restait à convaincre le big boss, Guy Delcourt lui-même...

Le temps de me dépêtrer des autres boulots en cours, je pris un petit moment pour préparer un dossier afin de présenter le projet de manière aussi convaincante que possible : synopsis remis en forme, présentation des grandes lignes de la série, portraits et description des personnages, et bien sûr les premières pages du tome 1, dont une mise en couleurs. Rendez-vous fut pris pour le 17 juin, et après une nuit blanche (moins à cause de l'inquiétude que du bruit de la fête menée toute la nuit par un voisin), je n'en menais pas large quand j'ai débarqué à Paris pour me rendre au 54 rue de Hauteville, pour proposer Showergate à Guy Delcourt...

D'après Vatine, c'était pas gagné, et Guy Delcourt n'était a priori que moyennement enthousiaste. Or il s'était replongé dans le projet juste avant que j'arrive, prenant peut-être un peu plus qu'avant le temps de l'étudier en détail, et l'avait finalement trouvé vraiment intéressant, de sorte que j'ai reçu un accueil bien meilleur que ce à quoi je m'attendais.
Non seulement l'affaire fut conclue, et les contrats signés le jour même pour les deux premiers tomes, mais on se demandait même pourquoi on n'avait pas entrepris un tel projet plus tôt. :)

Les mois qui suivirent furent, paradoxalement, parmi les plus durs de ces dernières années : au lieu de pouvoir m'investir totalement dans cette nouvelle et passionnante création, voilà que j'étais ratrappé par les galères en tout genre, et notamment par les malveillances et les irresponsabilités des entreprises qui semblaient s'être donné le mot pour ne pas me payer tout le travail que je leur avais fait juste avant (je ne parle pas ici des éditions Delcourt, évidemment, mais d'autres boîtes qui semblent s'être donné pour mot d'ordre de créer le plus de problèmes possibles aux artistes... Il y en a qui n'ont décidément rien de mieux à faire de leur temps que de gaspiller le mien !).
Ces événements pénibles semblaient vraiment survenir pour me dire "arrête de te prendre la tête, mets-toi pour de bon à la BD !". Ce que je parvins finalement à faire, même s'il me fallut pas mal de temps pour me dépêtrer de ces galères sordides qui, au final, consommèrent beaucoup de temps et d'énergie, et me mirent passablement en retard par rapport au planning que je m'étais initialement fixé pour la réalisation de ce premier tome.

Olivier Vatine se proposant pour superviser ce boulot et m'indiquer les corrections utiles, j'ai très largement profité de sa gentillesse. C'est vraiment un grand professionnel, très patient et très pédagogue, et ça m'a permis d'apprendre des tonnes de trucs sur la BD que je maîtrisais d'autant moins que ça correspond à des aspects du travail que j'avais délégués jusqu'ici, que ce soit pour Sylfeline ou le Tiger Lily, à Marc Bati.
C'est un des aspects les plus passionnants de la BD, pour l'auteur : il y a un travail énorme à faire mais, pour peu en tout cas qu'on en ait l'ambition, c'est aussi l'occasion, tellement il y a de dessins à faire, et de problèmes auxquels se confronter, d'apprendre des centaines de choses. On acquiert plus d'expérience et de maîtrise en un seul album que dans un parcours complet de plusieurs années dans une école d'art !
Et quand, en plus, on a des profs aussi remarquables que ceux que j'ai eu la chance d'avoir, on peut vraiment s'estimer privilégié. :)

Les pages se sont empilées, l'album du premier tome, "la Reine sombre", fut bouclé (avec un peu de retard, comme il se doit dans la bonne vieille tradition des auteurs de BD ;)), et sortit en avant-première au Festival d'Angoulême début 2007. Tous les espoirs étaient permis...

...mais furent bien vite déçus : les ventes ne décollaient pas, et d'après les statistiques établies par l'éditeur, on avait toutes les raisons de penser que la série ne "marcherait" pas.

Je me suis obstiné pendant quelques mois, après avoir retravaillé le scénario pour, d'une série prévue en trois tomes, parvenir à terminer l'histoire en deux albums, j'ai réalisé les 12 premières pages du deuxième tome, et quand finalement il m'est apparu -ce que tout d'abord je m'étais refusé à croire, évidemment- que ces efforts ne menaient pas à grand-chose, la décision fut prise d'arrêter les frais : l'aventure Showergate s'arrêtait là.