Dédicaces à vendre

Posté le lundi 20 décembre 2010 à 19 h 46 min dans la catégorie « Dédicaces, Humeur » par Bruno Bellamy.

Je lis ici et que des auteurs s’offusquent de voir revendre leurs dédicaces par des lecteurs indélicats.

À l’été 2005, une discussion sur ce même sujet entre membres de l’adaBD ayant été entamée, le très regretté Yvan Delporte m’a appelé au téléphone après que j’aie fait part de mes recherches auprès de juristes et proposé, sur le forum pro de l’adaBD, l’utilisation d’un tampon, en expliquant la portée légale du truc.

Lapin tamponnéNous avons élaboré ensemble la solution suivante : considérant que l’auteur est libre d’interdire certains usages de son œuvre (ceux qui ne sont pas explicitement exclus d’une telle interdiction par l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, comme la copie privée, la citation, la parodie, etc) il peut, très légalement, rendre explicite le contrat tacite entre lui et le destinataire de la dédicace, qui pourrait s’exprimer comme suit : répondant à sa définition, qui n’est pas celle d’un « original gratuit » mais bien d’une mention autographe destinée à personnaliser l’ouvrage, la dédicace est offerte au seul dédicataire. Si ce dédicataire la conçoit comme une plus-value destinée à augmenter la valeur de l’ouvrage dans la perspective d’une revente, il sollicite abusivement l’intervention de l’auteur, qui est un professionnel, pour créer cette plus-value, en le faisant exercer son métier (dessiner des œuvres originales) mais sans le rémunérer, alors qu’il (le dédicataire) a l’intention de réaliser un profit avec ce travail.
On peut solliciter l’intervention bénévole d’un professionnel pour une opération non lucrative, mais il y a accord préalable sur les conditions de cette intervention (le professionnel est alors libre d’accepter ou pas).
Si on sollicite une « dédicace », on demande en fait au dessinateur professionnel de fournir gratuitement un original qui n’a pas vocation à générer un profit pour le dédicataire, c’est l’esprit de ce contrat tacite. Si le dédicataire a l’intention d’en tirer profit, ça n’est pas une dédicace, puisque en fin de compte le dessin ne lui est pas destiné. Il y a donc tromperie sur la demande.

Ceci n’est évidemment pas une base légale permettant à un auteur de s’en prendre à un dédicataire abusif, mais si l’auteur rend ce contrat tacite explicite, cela met les choses au clair. Informé, le dédicataire devient responsable.
L’auteur peut fournir cette information, en apposant un tampon sur sa dédicace, qui formule le contrat brièvement mais explicitement. L’astuce consiste, pour ne pas dégrader le dessin, à apposer le tampon seulement sur la signature (sans laquelle le dessin n’a que peu de valeur marchande, mais qui n’est pas en soi dégradée esthétiquement par l’apposition d’un tampon, surtout si celui-ci est d’une couleur plus légère que l’inscription de la signature).

Le tampon dit ceci :

Cette dédicace est un cadeau pour personnaliser l’album. Elle ne peut être vendue.

Ci-dessus, une image d’exemple, que j’avais réalisée justement à l’intention d’Yvan Delporte.

Plusieurs juristes, dont la responsable juridique de l’ADAGP, par exemple, m’ont confirmé la validité de la démarche.

Il va de soi que l’idée n’est pas de préparer des poursuites en justice contre des revendeurs de dédicaces, les auteurs de BD ont d’autres chats à fouetter. Il s’agit avant tout d’une démarche d’information et de prévention. Rien n’exclut, cependant, que je sache, qu’un auteur puisse poursuivre devant un tribunal un dédicataire qui aurait revendu l’œuvre sur laquelle est inscrit « ne peut être vendue », et qui aurait alors, on l’imagine, bien du mal à justifier de sa bonne foi.

J’ai fait fabriquer ce tampon à mes frais (une trentaine d’euros) et l’ai utilisé sur mes dédicaces (j’en ai fait un bon paquet) pendant une année complète, du festival d’Angoulême 2007 à celui de 2008. Le procédé a été très bien perçu, et même souvent encouragé, par les lecteurs, qui se sont fréquemment étonnés de ne voir aucun autre auteur l’employer. J’ai, à chaque fois que j’en ai eu l’occasion, montré la chose aux auteurs que je rencontrais lors de ces séances de dédicaces, que j’ai incités à réfléchir à cette option.

Personne ne m’a suivi.

À ma connaissance, en tout cas, je suis le seul à avoir utilisé ce procédé.

Au bout d’un an, considérant que, d’une part, cette démarche n’a d’efficacité réelle qu’en se « normalisant » (c’est à dire si suffisamment d’auteurs l’adoptent) et, d’autre part, qu’il était décidément vain de proposer des solutions valides et élégantes à des gens qui préfèrent se plaindre que de se prendre en main, j’ai renoncé à utiliser ce tampon.

Pour info, donc.

Et pour rappeler une excellente idée, celle de monsieur Delporte, qui en plus d’être un homme adorable était un esprit remarquable.

NB : le sujet ayant déjà soulevé, ailleurs, suffisamment de polémiques stériles, j’ai désactivé les commentaires pour ce post. Comme évoqué ci-dessus, c’était juste « pour info ». 😉


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